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frayeur était réelle, la carafe placée devant sa femme, pour éteindre l’incendie allumé dans les cheveux de Thibault.

Le sabotier porta instinctivement la main à sa tête.

Mais, ne sentant aucune chaleur, il devina ce dont il était question, pâlit horriblement et se laissa retomber sur son siège.

Sa préoccupation avait été si grande depuis deux jours, qu’il avait complètement oublié la précaution prise à l’endroit de la meunière, c’est-à-dire de donner à sa coiffure ce tour particulier à l’aide duquel il cachait sous les autres les cheveux dont le loup noir avait acquis la propriété.

Il est vrai que, pendant ce temps, grâce à une foule de petits souhaits échappés à Thibault, et qui, par-ci par-là, avaient porté préjudice à son prochain, la multiplication des cheveux couleur de flamme avait fait un progrès effrayant, et, dans ce moment, le malheureux avait des cheveux dont chacun pouvait lutter comme éclat avec les deux chandelles de cire jaune qui éclairaient l’appartement.

– Par le diable ! maître Magloire, reprit Thibault en essayant de dominer son émotion, vous m’avez fait une effroyable peur.

– Mais… dit le bailli en montrant toujours avec un certain effroi la mèche flamboyante de Thibault.

– Bon ! reprit celui-ci, ne faites point attention, messire, à ce qu’une portion de ma chevelure peut avoir d’inusité ; cela provient d’une peur que ma mère eut d’un brasier qui pensa la dévorer étant enceinte de moi.

– Ce qui est plus étrange encore, dit dame Suzanne, qui avait avalé un grand verre d’eau pour éteindre son rire, c’est que, pour la première fois aujourd’hui, je m’aperçois de cette resplendissante bizarrerie.