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qu’en dirigeant bien ses désirs, on pouvait si facilement arriver au bonheur, de suer sang et eau pour n’arriver en somme qu’à poursuivre une existence souffreteuse et misérable.

Apprêter son petit repas n’était plus pour lui, comme jadis, une distraction ; lorsque la faim se faisait sentir, il mangeait avec répugnance un morceau de pain noir, et l’envie, qui n’avait été jusque-là chez lui qu’une sorte d’aspiration vague vers le bien-être, prenait peu à peu dans le fond de son cœur le caractère d’une rage sourde et violente qui lui faisait haïr son prochain.

Cependant, si longue que cette journée semblait à Thibault, elle passa comme les autres.

Lorsque vint le crépuscule, il quitta son établi et alla s’asseoir sur le banc de bois qu’il avait dressé de ses mains devant sa porte.

Là, il resta abîmé dans de sombres réflexions.

Mais à peine les ténèbres commencèrent-elles à épaissir, qu’un loup sortit du taillis et vint, comme la veille, se coucher à quelque distance de la maisonnette.

Comme la veille aussi, ce loup fut suivi d’un second, puis d’un troisième, enfin de toute la bande, laquelle reprit le poste qu’elle avait occupé la nuit précédente.

Au troisième loup, Thibault était rentré.

Il s’était barricadé aussi soigneusement qu’il avait fait la veille. Mais, plus que la veille encore, il était triste et découragé.

Aussi n’eut-il point la force de veiller.

Il alluma son feu, l’organisa de manière à ce qu’il durât toute la nuit, se coucha sur son lit et s’endormit.