Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Thibault n’en fit pas moins ce dont l’avait prié la meunière. Comme il se doutait bien que, par quelque ouverture de rideau, la belle veuve le regardait, il employa toutes ses forces et développa toutes ses grâces dans l’accomplissement de la besogne à laquelle il coopérait.

L’ouvrage terminé, on se réunit dans la chambre, où une fille de charge était occupée à dresser la table.

La table mise, la veuve s’assit à la place d’honneur et fit asseoir Thibault à sa droite.

Madame Polet fut pleine de soins et d’attentions pour ce dernier ; si bien que Thibault, qui avait douté un instant, reprit cœur à la joie et à l’espérance.

La meunière, comme pour faire honneur au présent de Thibault, avait elle-même accommodé les grives avec des baies de genièvre, et, ainsi préparées, elles étaient bien devenues le meilleur manger qui pût chatouiller un palais.

Cependant, tout en riant aux drôleries que lui contait Thibault, elle jetait de temps en temps à la dérobée un coup d’œil sur Landry, et elle s’aperçut qu’il n’avait pas encore touché à ce qu’elle-même avait placé sur l’assiette du pauvre garçon.

Elle s’aperçut, en outre, que de grosses larmes roulaient le long de ses joues et venaient grossir la sauce au genièvre des grives, intactes dans son assiette.

Cette douleur muette la toucha.

Son regard devint presque tendre, et elle fit de la tête un geste qui voulait dire, tant elle y mit d’expression :

– Mangez, Landry, je vous en prie.

Il y avait tout un monde de promesses d’amour dans cette petite pantomime.

Landry comprit la belle meunière, car il faillit s’étrangler en avalant son oisillon d’une seule bouchée, tant il mit d’empressement à obéir aux ordres de sa maîtresse.