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cette fois un enchantement qu’il n’avait jamais éprouvé.

C’est que jamais il ne l’avait regardé dans les conditions où il se trouvait ; il avait déjà en lui cette satisfaction égoïste du propriétaire qui visite un domaine qu’il a acquis par procuration.

Mais sa joie fut bien autre quand il entra dans la cour et que le tableau s’anima.

Les pigeons au cou d’azur et de pourpre roucoulaient sur les toits, les canards criaient en faisant mille évolutions dans le ruisseau, les poules gloussaient sur le fumier, les dindons se rengorgeaient en faisant la roue près de leurs femelles, de belles vaches brunes et blanches revenaient des champs les mamelles gonflées de lait ; ici, on déchargeait une charrette ; là, on ôtait le harnais à deux beaux chevaux du Perche, qui, en hennissant, tendaient vers leurs râteliers leurs bonnes têtes dégagées d’entraves ; un garçon montait un sac au grenier, une fille apportait un sac de croûtes et d’eau de vaisselle à un énorme porc qui se chauffait au soleil en attendant sa transformation en petit-salé, en saucisses, en boudin ; tous les animaux de l’arche, depuis l’âne brayant jusqu’au coq chantant, mêlaient leurs voix discordantes à ce concert champêtre, tandis que le tic-tac du moulin, en battant la mesure, semblait en régler le rythme.

Thibault en eut un éblouissement.

Il se vit d’avance le propriétaire de tout cela, et il se frotta si allègrement les mains, que bien certainement Landry eût remarqué cette joie que rien ne motivait, s’il n’eût pas été absorbé dans sa douleur, qui augmentait au fur et à mesure qu’il approchait du logis.

La veuve, de la salle à manger où elle se tenait, les apercevait au seuil de la porte.

Elle paraissait tout intriguée de savoir quel était l’étranger qui revenait avec son premier garçon.