Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

– Pas si malheureux que tu croyais !

– Non.

– Ah ! si tu savais quelle vie est la mienne ! Plus de regards, plus de sourires ! Quand elle me rencontre, elle se détourne, et, lorsque je vais pour lui rendre compte de ce qui s’est passé au moulin, elle m’écoute d’un air si dédaigneux, qu’au lieu de lui parler de son, de blé, de seigle, d’orge ou d’avoine, de coupe et de recoupe, je me mets à pleurer, et alors elle m’adresse des Prenez garde ! si menaçants, que je me sauve et cours me mettre derrière mes blutoirs…

– Mais aussi pourquoi t’adresser à ta bourgeoise ? Il ne manque pas de filles dans le canton, qui ne demanderaient pas mieux que de t’avoir pour galant.

– Ah ! c’est bien malgré moi que je l’ai aimée, va !

– Prends une autre bonne amie, et ne pense plus à elle.

– Je ne saurais.

– Bon ! essaye toujours. D’abord, il se pourrait que de te voir donner ton cœur à une autre, cela rendît la meunière jalouse, et qu’alors elle courût après toi comme maintenant tu cours après elle. Les femmes sont si singulières !

– Oh ! si j’étais sûr de cela, j’essayerais tout de suite… quoique maintenant…

Et Landry secoua la tête.

– Eh bien, quoi… maintenant ?

– Quoique maintenant, après ce qui s’est passé ; tout est inutile.

– Que s’est-il donc passé ? demanda Thibault, qui tenait à tout savoir.

– Oh ! quant à cela, rien, répondit Landry, et je n’ose pas même en parler.

– Pourquoi ?

– Parce que, comme on dit chez nous, quand le malheur dort, il ne faut pas l’éveiller.