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– Au fond, oui, mais pas à la surface.

– Comment cela ?

– Tu me dis que tu es joyeux d’un ton à porter le diable en terre. Jadis, mon cher Landry, tu étais gai et sautillant comme le tic-tac de ton moulin, que tes chansons accompagnaient toujours ; aujourd’hui, tu es morne comme les croix du cimetière. Ah çà ! l’eau ne fait donc plus tourner la meule ?

– Oh ! si fait, Thibault ! l’eau ne manque pas ; non, tout au contraire, l’eau vient mieux que jamais et l’écluse ne chôme pas ; mais, au lieu de froment, vois-tu, c’est mon cœur qui est sous la meule, et cette meule tourne tant et si bien que mon cœur est tout broyé et qu’il n’en reste que poudre.

– Bon ! Es-tu donc si malheureux que cela dans le moulin de la Polet ?

– Ah ! plût à Dieu que je fusse tombé sous sa roue le jour où j’y ai mis le pied pour la première fois !

– Ah çà ! mais tu m’effrayes, Landry !… Raconte-moi tes peines, mon garçon.

Landry poussa un gros soupir.

– Nous sommes fils de frère et de sœur, continua Thibault, et, que diable ! si je suis trop pauvre pour te bailler quelques écus si tu es dans un embarras d’argent, je puis au moins te donner quelque bon conseil si tu es pris par un chagrin de cœur.

– Merci, Thibault ; mais ce que j’ai, ni conseils ni argent n’y peuvent faire.

– Dis toujours ce que tu as ; cela soulage de raconter sa peine.

– Eh ! non ! tu auras beau faire, je ne parlerai pas.

Thibault se mit à rire.

– Tu ris ? lui demanda Landry d’un air étonné et fâché à la fois ; mon chagrin te fait rire ?

– Je ne ris pas de ton chagrin, Landry ; je ris de ce