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LE MAITRE D’ARMES

En deux jours, Napoléon gagne les défilés qui protègent Vilna ; il espère que l’empereur Alexandre l’aura attendu dans cette belle position pour défendre la capitale de la Lithuanie ; les défilés sont déserts, il ne peut en croire ses yeux ; les avant-gardes les ont déjà traversés sans obstacle ; il s’emporte, il accuse, il menace ; l’ennemi est non-seulement insaisissable, mais encore invisible. C’est un plan convenu, c’est une retraite préméditée, car il connaît les Russes pour avoir eu affaire à eux, et quand ils ont reçu l’ordre de combattre, ce sont des murailles vivantes qu’on renverse, mais qui ne reculent pas.

Cependant, quelque danger qu’elle cache, il faut bien profiter de la retraite de l’ennemi. Napoléon se place au milieu des Polonais, et fait avec eux son entrée dans Vilna. A la vue de ceux qu’ils regardent comme leurs compatriotes, et de celui en qui ils espèrent comme dans un sauveur, les Lithuaniens accourent avec des cris de joie et d’enthousiasme ; mais Napoléon, soucieux, traverse Vilna sans rien voir, sans rien entendre, et court aux avant-postes qui ont déjà dépassé la ville ; là enfin, il a nouvelle des Russes : le 8e de hussards qui s’est imprudemment, et sans être soutenu, enfoncé dans un bois, y a été taillé en pièces. Napoléon respire, il n’a donc point affaire à une armée de fantômes ; l’ennemi s’est retiré dans la direction de Drissa ; Napoléon lance après lui Murat et sa cavalerie, puis il revient à Vilna prendre possession du palais qu’Alexandre a quitté la veille.

Napoléon s’y arrête pour mettre au courant son travail arriéré. Quant à son armée, elle continuera de marcher en avant sous les ordres de ses capitaines ; puisque l'armée russe existe, c’est à eux de la joindre. Nos convois, nos fourgons, nos ambulances, ne sont pas encore arrivés ; n’importe, ce qu’il faut, avant tout, c’est une bataille, car une bataille c’est une victoire, et Napoléon pousse quatre cent mille hommes dans un pays qui n’a pas pu nourrir Charles XII ni ses vingt mille Suédois.

Aussi, les nouvelles les plus désastreuses lui arrivent-elles de tous côtés : l’armée, qui manque de vivres, ne peut subsister que par le pillage, encore le pillage est-il insuffisant. Alors, quoique dans un pays ami, on menace, on frappe, on brûle ; c’est par accident sans doute que ce dernier mal-