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leur prêtant, quelque chose qu’on dise de l’égalité devant la mort, un dernier témoignage du luxe qu’ils aimaient pendant leur vie.

Ce suaire n’était autre chose qu’une pièce de magnifique batiste que la jeune fille avait achetée quinze jours auparavant.

Dans la soirée, des hommes appelés à cet effet avaient transporté Noirtier de la chambre de Valentine dans la sienne, et, contre toute attente, le vieillard n’avait fait aucune difficulté de s’éloigner du corps de son enfant.

L’abbé Busoni avait veillé jusqu’au jour, et, au jour, il s’était retiré chez lui, sans appeler personne.

Vers huit heures du matin, d’Avrigny était revenu ; il avait rencontré Villefort qui passait chez Noirtier, et il l’avait accompagné pour savoir comment le vieillard avait passé la nuit.

Ils le trouvèrent dans le grand fauteuil qui lui servait de lit, reposant d’un sommeil doux et presque souriant.

Tous deux s’arrêtèrent étonnés sur le seuil.

— Voyez, dit d’Avrigny à Villefort, qui regardait son père endormi ; voyez, la nature sait calmer les plus vives douleurs ; certes, on ne dira pas que M. Noirtier n’aimait pas sa petite-fille ; il dort cependant.

— Oui, et vous avez raison, répondit Villefort avec surprise ; il dort, et c’est bien étrange, car la moindre contrariété le tient éveillé des nuits entières.

— La douleur l’a terrassé, répliqua d’Avrigny.

Et tous deux regagnèrent pensifs le cabinet du procureur du roi.

— Tenez, moi je n’ai pas dormi, dit Villefort en montrant à d’Avrigny son lit intact ; la douleur ne me terrasse pas, moi, il y a deux nuits que je ne me suis couché ; mais, en échange, voyez mon bureau ; ai-je écrit