Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et qui est ce malheureux ?

— Eh ! sait-on cela ! Un vagabond, un Corse.

— Il n’a donc été réclamé par personne ?

— Par personne ; on ne connaît pas ses parents.

— Mais cet homme qui était venu de Lucques ?

— Un autre escroc comme lui ; son complice peut-être.

La baronne joignit les mains.

— Villefort ! dit-elle avec sa plus douce et sa plus caressante intonation.

— Pour Dieu ! madame, répondit le procureur du roi avec une fermeté qui n’était pas exempte de sécheresse, pour Dieu ! ne me demandez donc jamais grâce pour un coupable.

Que suis-je, moi ? la loi. Est-ce que la loi a des yeux pour voir votre tristesse ? Est-ce que la loi a des oreilles pour entendre votre douce voix ? Est-ce que la loi a une mémoire pour se faire l’application de vos délicates pensées ? Non, madame, la loi ordonne, et quand la loi a ordonné, elle frappe.

Vous me direz que je suis un être vivant et non pas un code ; un homme, et non pas un volume. Regardez-moi, madame, regardez autour de moi, les hommes m’ont-ils traité en frère ? m’ont-ils aimé, moi ? m’ont-ils ménagé, moi ? m’ont-ils épargné, moi ? quelqu’un a-t-il demandé grâce pour M. de Villefort, et a-t-on accordé à ce quelqu’un la grâce de M. de Villefort ? Non, non, non ! frappé, toujours frappé !

Vous persistez, femme, c’est-à-dire sirène que vous êtes, à me parler avec cet œil charmant et expressif qui me rappelle que je dois rougir. Eh bien ! soit, oui, rougir de ce que vous savez, et peut-être, et peut-être d’autre chose encore.

Mais enfin, depuis que j’ai failli moi-même, et plus