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Morrel, abattu, dompté, se renversa sur son fauteuil : une torpeur veloutée s’insinua dans chacune de ses veines. Un changement d’idées meubla pour ainsi dire son front, comme une nouvelle disposition de dessins meuble le kaléidoscope.

Couché, énervé, haletant, Morrel ne sentait plus rien de vivant en lui que ce rêve : il lui semblait entrer à pleines voiles dans le vague délire qui précède cet autre inconnu qu’on appelle la mort.

Il essaya encore une fois de tendre la main au comte, mais cette fois sa main ne bougea même point ; il voulut articuler un suprême adieu, sa langue roula lourdement dans son gosier comme une pierre qui boucherait un sépulcre.

Ses yeux chargés de langueurs se fermèrent malgré lui ; cependant, derrière ses paupières, s’agitait une image qu’il reconnut malgré cette obscurité dont il se croyait enveloppé.

C’était le comte qui venait d’ouvrir une porte.

Aussitôt, une immense clarté rayonnant dans une chambre voisine, ou plutôt dans un palais merveilleux, inonda la salle où Morrel se laissait aller à sa douce agonie.

Alors il vit venir au seuil de cette salle, et sur la limite des deux chambres, une femme d’une merveilleuse beauté.

Pâle et doucement souriante, elle semblait l’ange de miséricorde conjurant l’ange des vengeances.

— Est-ce déjà le ciel qui s’ouvre pour moi ? pensa le mourant ; cet ange ressemble à celui que j’ai perdu.

Monte-Cristo montra du doigt, à la jeune femme, le sofa où reposait Morrel.

Elle s’avança vers lui les mains jointes et le sourire sur les lèvres.