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trois heures qui nous restent comme ces anciens Romains qui, condamnés par Néron, leur empereur et leur héritier, se mettaient à table couronnés de fleurs, et aspiraient la mort avec le parfum des héliotropes et des roses ?

Morrel sourit.

— Comme vous voudrez, dit-il ; la mort est toujours la mort, c’est-à-dire l’oubli, c’est-à-dire le repos, c’est-à-dire l’absence de la vie et par conséquent de la douleur.

Il s’assit, Monte-Cristo prit place en face de lui.

On était dans cette merveilleuse salle à manger que nous avons déjà décrite, et où des statues de marbre portaient sur leur tête des corbeilles toujours pleines de fleurs et de fruits.

Morrel avait tout regardé vaguement, et il était probable qu’il n’avait rien vu.

— Causons en hommes, dit-il en regardant fixement le comte.

— Parlez, répondit celui-ci.

— Comte, reprit Morrel, vous êtes le résumé de toutes les connaissances humaines, et vous me faites l’effet d’être descendu d’un monde plus avancé et plus savant que le nôtre.

— Il y a quelque chose de vrai là-dedans, Morrel, dit le comte avec ce sourire mélancolique qui le rendait si beau ; je suis descendu d’une planète qu’on appelle la douleur.

— Je crois tout ce que vous me dites sans chercher à en approfondir le sens, comte ; et la preuve, c’est que vous m’avez dit de vivre, que j’ai vécu ; c’est que vous m’avez dit d’espérer, et que j’ai presque espéré. J’oserai donc vous dire, comte, comme si vous étiez déjà mort une fois : comte, cela fait-il bien mal ?