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et s’aperçut qu’il avait tant donné de traites au porteur, qu’il ne lui restait plus que cinquante mille francs.

Alors il se fit en lui une réaction étrange : lui qui venait d’abandonner cinq millions, il essaya de sauver les cinquante mille francs qui lui restaient ; plutôt que de donner ces cinquante mille francs, il se résolut de reprendre une vie de privations, il eut des lueurs d’espoir qui touchaient à la folie ; lui qui depuis si longtemps avait oublié Dieu, il y songea pour se dire que Dieu parfois avait fait des miracles, que la caverne pouvait s’abîmer ; que les carabiniers pontificaux pouvaient découvrir cette retraite maudite et venir à son secours ; qu’alors il lui resterait cinquante mille francs ; que cinquante mille francs étaient une somme suffisante pour empêcher un homme de mourir de faim ; il pria Dieu de lui conserver ces cinquante mille francs, et en priant il pleura.

Trois jours se passèrent ainsi, pendant lesquels le nom de Dieu fut constamment, sinon dans son cœur, du moins sur ses lèvres ; par intervalles, il avait des instants de délire pendant lesquels il croyait, à travers les fenêtres, voir dans une pauvre chambre un vieillard agonisant sur un grabat.

Ce vieillard, lui aussi, mourait de faim.

Le quatrième jour, ce n’était plus un homme, c’était un cadavre vivant ; il avait ramassé à terre jusqu’aux dernières miettes de ses anciens repas et commencé à dévorer la natte dont le sol était couvert.

Alors, il supplia Peppino, comme on supplie son ange gardien, de lui donner quelque nourriture ; il lui offrit mille francs d’une bouchée de pain.

Peppino ne répondit pas.

Le cinquième jour, il se traîna à l’entrée de la cellule.

— Mais vous n’êtes donc pas un chrétien ? dit-il en