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Et il voulut se remettre à découper le poulet ; mais Peppino lui arrêta la main droite avec la main gauche et tendit son autre main.

— Allons, dit-il.

— Quoi ! vous ne riez point ? dit Danglars.

— Nous ne rions jamais, Excellence, reprit Peppino, sérieux comme un quaker.

— Comment, cent mille francs ce poulet !

— Excellence, c’est incroyable comme on a de la peine à élever la volaille dans ces maudites grottes.

— Allons ! allons ! dit Danglars, je trouve cela très bouffon, très divertissant, en vérité ; mais comme j’ai faim, laissez-moi manger. Tenez, voilà un autre louis pour vous, mon ami.

— Alors cela ne fera plus que quatre mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit louis, dit Peppino conservant le même sang-froid ; avec de la patience, nous y viendrons.

— Oh ! quant à cela, dit Danglars révolté de cette persévérance à le railler, quant à cela, jamais. Allez au diable ! Vous ne savez pas à qui vous avez affaire.

Peppino fit un signe, le jeune garçon allongea les deux mains et enleva prestement le poulet. Danglars se jeta sur son lit de peaux de bouc, Peppino referma la porte et se remit à manger ses pois au lard.

Danglars ne pouvait voir ce que faisait Peppino, mais le claquement des dents du bandit ne devait laisser au prisonnier aucun doute sur l’exercice auquel il se livrait.

Il était clair qu’il mangeait, même qu’il mangeait bruyamment, et comme un homme mal élevé.

— Butor ! dit Danglars.

Peppino fit semblant de ne pas entendre, et, sans même tourner la tête, continua de manger avec une sage lenteur.