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tant votre esprit sur ce que je vais vous dire. J’ai connu un homme qui, ainsi que vous, avait fait reposer toutes ses espérances de bonheur sur une femme. Cet homme était jeune, il avait un vieux père qu’il aimait, une fiancée qu’il adorait ; il allait l’épouser quand tout à coup un de ces caprices du sort qui feraient douter de la bonté de Dieu, si Dieu ne se révélait plus tard en montrant que tout est pour lui un moyen de conduire à son unité infinie, quand tout à coup un caprice du sort lui enleva sa liberté, sa maîtresse, l’avenir qu’il rêvait et qu’il croyait le sien (car, aveugle qu’il était, il ne pouvait lire que dans le présent), pour le plonger au fond d’un cachot.

— Ah ! fit Morrel, on sort d’un cachot au bout de huit jours, au bout d’un mois, au bout d’un an.

— Il y resta quatorze ans, Morrel, dit le comte en posant sa main sur l’épaule du jeune homme.

Maximilien tressaillit.

— Quatorze ans ! murmura-t-il.

— Quatorze ans, répéta le comte ; lui aussi, pendant ces quatorze années, il eut bien des moments de désespoir ; lui aussi, comme vous, Morrel, se croyant le plus malheureux des hommes, il voulut se tuer.

— Eh bien ? demanda Morrel.

— Eh bien ! au moment suprême, Dieu se révéla à lui par un moyen humain ; car Dieu ne fait plus de miracles : peut-être au premier abord (il faut du temps aux yeux voilés de larmes pour se dessiller tout à fait), ne comprit-il pas cette miséricorde infinie du Seigneur ; mais enfin il prit patience et attendit. Un jour il sortit miraculeusement de la tombe, transfiguré, riche, puissant, presque dieu ; son premier cri fut pour son père : son père était mort !

— Et à moi aussi mon père est mort, dit Morrel.