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— Voyez-vous, voilà quel était son projet : il croyait qu’on enterrait les morts au château d’If, et comme il se doutait bien qu’on ne faisait pas de frais de cercueil pour les prisonniers, il comptait lever la terre avec ses épaules ; mais il y avait malheureusement au château une coutume qui dérangeait son projet : on n’enterrait pas les morts ; on se contentait de leur attacher un boulet aux pieds et de les lancer à la mer : c’est ce qui fut fait. Notre homme fut jeté à l’eau du haut de la galerie ; le lendemain on retrouva le vrai mort dans son lit, et l’on devina tout, car les ensevelisseurs dirent alors ce qu’ils n’avaient pas osé dire jusque-là, c’est qu’au moment où le corps avait été lancé dans le vide ils avaient entendu un cri terrible, étouffé à l’instant même par l’eau dans laquelle il avait disparu.

Le comte respira péniblement, la sueur coulait sur son front, l’angoisse serrait son cœur.

— Non ! murmura-t-il, non ! ce doute que j’ai éprouvé, c’était un commencement d’oubli ; mais ici le cœur se creuse de nouveau et redevient affamé de vengeance.

Et le prisonnier, demanda-t-il, on n’en a jamais entendu parler ?

— Jamais, au grand jamais ; vous comprenez, de deux choses l’une, ou il est tombé à plat, et, comme il tombait d’une cinquantaine de pieds, il se sera tué sur le coup.

— Vous avez dit qu’on lui avait attaché un boulet aux pieds : il sera tombé debout.

— Ou il est tombé debout, reprit le concierge, et alors le poids du boulet l’aura entraîné au fond, où il est resté, pauvre cher homme !

— Vous le plaignez ?

— Ma foi, oui, quoiqu’il fût dans son élément.