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allons, millionnaire invincible, reprends pour un instant cette funeste perspective de la vie misérable et affamée ; repasse par les chemins où la fatalité t’a poussé, où le malheur t’a conduit, où le désespoir t’a reçu ; trop de diamants, d’or et de bonheur rayonnent aujourd’hui sur les verres de ce miroir où Monte-Cristo regarde Dantès ; cache ces diamants, souille cet or, efface ces rayons ; riche, retrouve le pauvre ; libre, retrouve le prisonnier, ressuscité ; retrouve le cadavre.

Et, tout en disant cela à lui même, Monte-Cristo suivait la rue de la Caisserie. C’était la même par laquelle, vingt-quatre ans auparavant, il avait été conduit par une garde silencieuse et nocturne ; ces maisons, à l’aspect riant et animé, elles étaient cette nuit-là sombres, muettes et fermées.

— Ce sont cependant les mêmes, murmura Monte-Cristo ; seulement alors il faisait nuit, aujourd’hui il fait grand jour ; c’est le soleil qui éclaire tout cela et qui rend tout cela joyeux.

Il descendit sur le quai par la rue Saint-Laurent, et s’avança vers la Consigne : c’était le point du port où il avait été embarqué. Un bateau de promenade passait avec son dais de coutil ; Monte-Cristo appela le patron, qui nagea aussitôt vers lui avec l’empressement que mettent à cet exercice les bateliers qui flairent une bonne aubaine.

Le temps était magnifique, le voyage fut une fête. À l’horizon le soleil descendait, rouge et flamboyant, dans les flots qui s’embrasaient à son approche ; la mer, unie comme un miroir, se ridait parfois sous les bonds des poissons qui, poursuivis par quelque ennemi caché, s’élançaient hors de l’eau pour demander leur salut à un autre élément ; enfin, à l’horizon, l’on voyait passer, blanches et gracieuses comme des mouettes voyageuses,