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moi donc une de ces jolies petites chambres qui donnent sur la cour, et faites-moi monter un poulet froid et une bouteille de vin de Bordeaux.

Le garçon n’eut aucun soupçon ; Andrea parlait avec la plus parfaite tranquillité ; il avait le cigare à la bouche et les mains dans les poches de son paletot ; ses habits étaient élégants, sa barbe fraîche, ses bottes irréprochables ; il avait l’air d’un voisin attardé, voilà tout.

Pendant que le garçon préparait sa chambre, l’hôtesse se leva : Andrea l’accueillit avec son plus charmant sourire, et lui demanda s’il ne pourrait pas avoir le numéro 3, qu’il avait déjà eu à son dernier passage à Compiègne ; malheureusement le numéro 3 était pris par un jeune homme qui voyageait avec sa sœur.

Andrea parut désespéré ; il ne se consola que lorsque l’hôtesse lui eut assuré que le numéro 7, qu’on lui préparait, avait absolument la même disposition que le numéro 3 ; et, tout en se chauffant les pieds et en causant des dernières courses de Chantilly, il attendit qu’on vînt lui annoncer que sa chambre était prête.

Ce n’était pas sans raison qu’Andrea avait parlé de ces jolis appartements donnant sur la cour : la cour de l’hôtel de la Cloche, avec son triple rang de galeries qui lui donnent l’air d’une salle de spectacle, avec ses jasmins et ses clématites qui montent le long de ses colonnades légères comme une décoration naturelle, est une des plus charmantes entrées d’auberge qui existent au monde.

Le poulet était frais, le vin était vieux, le feu clair et pétillant : Andrea se surprit soupant d’aussi bon appétit que s’il ne lui était rien arrivé.

Puis il se coucha, et s’endormit presque aussitôt de ce sommeil implacable que l’homme trouve toujours à vingt ans, même lorsqu’il a des remords.