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Quelques pensionnaires de la Fosse-aux-Lions considéraient avec un intérêt marqué les recherches de toilette du prisonnier.

— Tiens, voilà le prince qui se fait beau, dit un des voleurs.

— Il est très-beau naturellement, dit un autre, et s’il avait seulement un peigne et de la pommade, il éclipserait tous les messieurs à gants blancs.

— Son habit a dû être bien neuf et ses bottes reluisent joliment. C’est flatteur pour nous qu’il y ait des confrères si comme il faut ; et ces brigands de gendarmes sont bien vils. Les envieux ! avoir déchiré une toilette comme cela !

— Il paraît que c’est un fameux, dit un autre, il a tout fait… et dans le grand genre… Il vient de là-bas si jeune ! oh ! c’est superbe !

Et l’objet de cette admiration hideuse semblait savourer les éloges ou la vapeur des éloges, car il n’entendait pas les paroles.

Sa toilette terminée, il s’approcha du guichet de la cantine auquel s’adossait un gardien :

— Voyons, monsieur, lui dit-il, prêtez-moi vingt francs, vous les aurez bientôt ; avec moi, pas de risques à courir. Songez donc que je tiens à des parents qui ont plus de millions que vous n’avez de deniers… Voyons, vingt francs, je vous en prie, afin que je prenne une pistole et que j’achète une robe de chambre. Je souffre horriblement d’être toujours en habit et en bottes. Quel habit ! monsieur, pour un prince Cavalcanti !

Le gardien lui tourna le dos et haussa les épaules. Il ne rit pas même de ces paroles qui eussent déridé tous les fronts ; car cet homme en avait entendu bien d’autres, ou plutôt il avait toujours entendu la même chose.