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vous mourrez, s’il vous plaît, et alors nos malheurs auront leur terme dans leur excès même.

— C’est bien, répondit Mercédès avec son noble et éloquent regard ; tu as raison, mon fils : prouvons à certaines gens qui nous regardent et qui attendent nos actes pour nous juger, prouvons-leur que nous sommes au moins dignes d’être plaints.

— Mais pas de funèbres idées, chère mère ! s’écria le jeune homme ; je vous jure que nous sommes, ou du moins que nous pouvons être très heureux. Vous êtes à la fois une femme pleine d’esprit et de résignation ; moi, je suis devenu simple de goût et sans passion, je l’espère. Une fois au service, me voilà riche ; une fois dans la maison de M. Dantès, vous voilà tranquille. Essayons ! je vous en prie, ma mère, essayons !

— Oui, essayons, mon fils, car tu dois vivre, car tu dois être heureux, répondit Mercédès.

— Ainsi, ma mère, voilà notre partage fait, ajouta le jeune homme en affectant une grande aisance. Nous pouvons aujourd’hui même partir. Allons, je retiens, comme il est dit, votre place.

— Mais la tienne, mon fils ?

— Moi, je dois rester deux ou trois jours encore, ma mère ; c’est un commencement de séparation, et nous avons besoin de nous y habituer. J’ai besoin de quelques recommandations, de quelques renseignements sur l’Afrique, je vous rejoindrai à Marseille.

— Eh bien ! soit, partons ! dit Mercédès en s’enveloppant dans le seul châle qu’elle eût emporté, et qui se trouvait par hasard un cachemire noir d’un grand prix ; partons !

Albert recueillit à la hâte ses papiers, sonna pour payer les trente francs qu’il devait au maître de l’hôtel,