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Moi, voyez-vous, je suis un soldat depuis que je suis un homme ; je suis arrivé jusqu’à vingt-neuf ans sans aimer, car aucun des sentiments que j’ai éprouvés jusque-là ne mérite le nom d’amour : eh bien ! à vingt-neuf ans j’ai vu Valentine : donc depuis près de deux ans je l’aime, depuis près de deux ans j’ai pu lire les vertus de la fille et de la femme écrites par la main même du Seigneur dans ce cœur ouvert pour moi comme un livre.

Comte, il y avait pour moi, avec Valentine, un bonheur infini, immense, inconnu, un bonheur trop grand, trop complet, trop divin pour ce monde ; puisque ce monde ne me l’a pas donné, comte, c’est vous dire que sans Valentine il n’y a pour moi sur la terre que désespoir et désolation.

— Je vous ai dit d’espérer, Morrel, répéta le comte.

— Prenez garde alors, répéterai-je aussi, dit Morrel, car vous cherchez à me persuader, et, si vous me persuadez, vous me ferez perdre la raison, car vous me ferez croire que je puis revoir Valentine.

Le comte sourit.

— Mon ami, mon père ! s’écria Morrel exalté, prenez garde, vous redirai-je pour la troisième fois, car l’ascendant que vous prenez sur moi m’épouvante ; prenez garde au sens de vos paroles, car voilà mes yeux qui se raniment, voilà mon cœur qui se rallume et qui renaît ; prenez garde, car vous me feriez croire à des choses surnaturelles.

J’obéirais si vous me commandiez de lever la pierre du sépulcre qui recouvre la fille de Jaïre, je marcherais sur les flots comme l’apôtre, si vous me faisiez de la main signe de marcher sur les flots ; prenez garde, j’obéirais.

— Espère, mon ami, répéta le comte.

— Ah ! dit Morrel en retombant de toute la hauteur