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donc un phénomène que M. Bertuccio ? Ah ! mon cher comte, ne me poussez pas trop loin dans le merveilleux, ou je ne vous croirai plus, je vous préviens.

— Jamais de merveilleux avec moi, Albert ; des chiffres et de la raison, voilà tout. Or, écoutez ce dilemme : Un intendant vole, mais pourquoi vole-t-il ?

— Dame ! parce que c’est dans sa nature, ce me semble, dit Albert ; il vole pour voler.

— Eh bien ! non, vous vous trompez : il vole parce qu’il a une femme, des enfants, des désirs ambitieux pour lui et pour sa famille ; il vole surtout parce qu’il n’est pas sûr de ne jamais quitter son maître et qu’il veut se faire un avenir. Eh bien ! M. Bertuccio est seul au monde ; il puise dans ma bourse sans me rendre compte, il est sûr de ne jamais me quitter.

— Pourquoi cela ?

— Parce que je n’en trouverais pas un meilleur.

— Vous tournez dans un cercle vicieux, celui des probabilités.

— Oh ! non pas ; je suis dans les certitudes. Le bon serviteur pour moi, c’est celui sur lequel j’ai droit de vie ou de mort.

— Et vous avez droit de vie ou de mort sur Bertuccio ? demanda Albert.

— Oui, répondit froidement le comte.

Il y a des mots qui ferment la conversation comme une porte de fer. Le oui du comte était un de ces mots-là.

Le reste du voyage s’accomplit avec la même rapidité, les trente-deux chevaux, divisés en huit relais, firent leurs quarante-sept lieues en huit heures.

On arriva au milieu de la nuit, à la porte d’un beau parc. Le concierge était debout et tenait la grille ouverte. Il avait été prévenu par le palefrenier du dernier relais.