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La comtesse fit un mouvement de terreur.

— Albert, dit-elle d’une voix altérée, je vous ai toujours mis en garde contre les nouvelles connaissances. Maintenant vous êtes homme, et vous pourriez me donner des conseils à moi-même ; cependant je vous répète : Soyez prudent, Albert.

— Encore faudrait-il, chère mère, pour que le conseil me fût profitable, que je susse d’avance de quoi me méfier. Le comte ne joue jamais, le comte ne boit que de l’eau dorée par une goutte de vin d’Espagne ; le comte s’est annoncé si riche que, sans se faire rire au nez, il ne pourrait m’emprunter d’argent : que voulez-vous que je craigne de la part du comte ?

— Vous avez raison, dit la comtesse, et mes terreurs sont folles, ayant pour objet surtout un homme qui vous a sauvé la vie. À propos, votre père l’a-t-il bien reçu, Albert ? Il est important que nous soyons plus que convenables avec le comte. M. de Morcerf est parfois occupé, ses affaires le rendent soucieux, il se pourrait que, sans le vouloir…

— Mon père a été parfait, madame, interrompit Albert ; je dirai plus : il a paru infiniment flatté de deux ou trois compliments des plus adroits que le comte lui a glissés avec autant de bonheur que d’à-propos, comme s’il l’eût connu depuis trente ans. Chacune de ces petites flèches louangeuses a dû toucher mon père, ajouta Albert en riant, de sorte qu’ils se sont quittés les meilleurs amis du monde, et que M. de Morcerf voulait même l’emmener à la Chambre pour lui faire entendre son discours.

La comtesse ne répondit pas ; elle était absorbée dans une rêverie si profonde que ses yeux s’étaient fermés peu à peu. Le jeune homme, debout devant elle, la