mes voitures, puisque nous avions vu passer les masques ensemble dans la rue du Cours, et puisque nous avions regardé d’une fenêtre de la place del Popolo cette exécution qui vous a si fort impressionné que vous avez failli vous trouver mal. Or, je le demande à tous ces Messieurs, pouvais-je laisser mon hôte entre les mains de ces affreux bandits, comme vous les appelez ? D’ailleurs, vous le savez, j’avais, en vous sauvant, une arrière-pensée qui était de me servir de vous pour m’introduire dans les salons de Paris quand je viendrais visiter la France. Quelque temps vous avez pu considérer cette résolution comme un projet vague et fugitif ; mais aujourd’hui, vous le voyez, c’est une bonne et belle réalité, à laquelle il faut vous soumettre sous peine de manquer à votre parole.
— Et je la tiendrai, dit Morcerf ; mais je crains bien que vous ne soyez fort désenchanté, mon cher comte, vous, habitué aux sites accidentés, aux événements pittoresques, aux fantastiques horizons. Chez nous, pas le moindre épisode du genre de ceux auxquels votre vie aventureuse vous a habitué. Notre Chimborazzo, c’est Montmartre ; notre Himalaya, c’est le mont Valérien ; notre Grand-Désert, c’est la plaine de Grenelle, encore y perce-t-on un puits artésien pour que les caravanes y trouvent de l’eau. Nous avons des voleurs, beaucoup même, quoique nous n’en ayons pas autant qu’on le dit, mais ces voleurs redoutent infiniment davantage le plus petit mouchard que le plus grand seigneur ; enfin, la France est un pays si prosaïque, et Paris une ville si fort civilisée, que vous ne trouverez pas, en cherchant dans nos quatre-vingt-cinq départements, je dis quatre vingt-cinq départements, car, bien entendu, j’excepte la Corse de la France, que vous ne trouverez pas dans nos quatre-vingt-cinq départements la moindre montagne sur