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je lui donnai je ne sais plus quelle monnaie d’or parce qu’il m’avait montré mon chemin, il me donna, lui, pour ne rien avoir à moi, un poignard sculpté par lui et que vous avez dû voir dans ma collection d’armes. Plus tard, soit qu’il eût oublié cet échange de petits cadeaux qui eût dû entretenir l’amitié entre nous, soit qu’il ne m’eût pas reconnu, il tenta de m’arrêter ; mais ce fut moi tout au contraire qui le pris avec une douzaine de ses gens. Je pouvais le livrer à la justice romaine, qui est expéditive et qui se serait encore hâtée en sa faveur, mais je n’en fis rien. Je le renvoyai, lui et les siens.

— À la condition qu’ils ne pécheraient plus, dit le journaliste en riant. Je vois avec plaisir qu’ils ont scrupuleusement tenu leur parole.

— Non, Monsieur, répondit Monte-Cristo, à la simple condition qu’ils me respecteraient toujours, moi et les miens. Peut-être ce que je vais vous dire vous paraîtra-t-il étrange, à vous, messieurs les socialistes, les progressifs, les humanitaires ; mais je ne m’occupe jamais de mon prochain, mais je n’essaye jamais de protéger la société qui ne me protège pas, et, je dirai même plus, qui généralement ne s’occupe de moi que pour me nuire ; et, en les supprimant dans mon estime et en gardant la neutralité vis-à-vis d’eux, c’est encore la société et mon prochain qui me doivent du retour.

— À la bonne heure ! s’écria Château-Renaud, voilà le premier homme courageux que j’entends prêcher loyalement et brutalement l’égoïsme : c’est très beau, cela ! bravo, monsieur le comte !

— C’est franc du moins, dit Morrel ; mais je suis sûr que monsieur le comte ne s’est pas repenti d’avoir manqué une fois aux principes qu’il vient cependant de nous exposer d’une façon si absolue.