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qu’ils prennent pour des caprices de l’imagination les vérités les plus incontestables, quand ces vérités ne rentrent pas dans toutes les conditions de leur existence quotidienne. Par exemple, voici Debray qui lit, et Beauchamp qui imprime tous les jours qu’on a arrêté et qu’on a dévalisé sur le boulevard un membre du Jockey-Club attardé ; qu’on a assassiné quatre personnes rue Saint-Denis ou faubourg Saint-Germain ; qu’on a arrêté dix, quinze, vingt voleurs, soit dans un café du boulevard du Temple, soit dans les Thermes de Julien, et qui contestent l’existence des bandits des Maremmes, de la campagne de Rome ou des marais Pontins. Dites-leur donc vous-même, je vous en prie, monsieur le comte, que j’ai été pris par ces bandits, et que, sans votre généreuse intercession, j’attendrais, selon toute probabilité, aujourd’hui, la résurrection éternelle dans les catacombes de Saint-Sébastien, au lieu de leur donner à dîner dans mon indigne petite maison de la rue du Helder.

— Bah ! dit Monte-Cristo, vous m’aviez promis de ne jamais me parler de cette misère.

— Ce n’est pas moi, monsieur le comte ! s’écria Morcerf, c’est quelque autre à qui vous aurez rendu le même service qu’à moi et que vous aurez confondu avec moi. Parlons-en, au contraire, je vous en prie ; car si vous vous décidez à parler de cette circonstance, peut-être non seulement me redirez-vous un peu de ce que je sais, mais encore beaucoup de ce que je ne sais pas.

— Mais il me semble, dit en souriant le comte, que vous avez joué dans toute cette affaire un rôle assez important pour savoir aussi bien que moi ce qui s’est passé.

— Voulez-vous me promettre, si je dis tout ce que je sais, dit Morcerf, de dire à votre tour tout ce que je ne sais pas ?