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— Comment, depuis hier matin ! s’écrièrent les convives ; vous n’avez point mangé depuis vingt-quatre heures ?

— Non, répondit Monte-Cristo ; j’avais été obligé de m’écarter de ma route et de prendre des renseignements aux environs de Nîmes, de sorte que j’étais un peu en retard, et je n’ai pas voulu m’arrêter.

— Et vous avez mangé dans votre voiture ? demanda Morcerf.

— Non, j’ai dormi comme cela m’arrive quand je m’ennuie sans avoir le courage de me distraire, ou quand j’ai faim sans avoir envie de manger.

— Mais vous commandez donc au sommeil, Monsieur ? demanda Morrel.

— À peu près.

— Vous avez une recette pour cela ?

— Infaillible.

— Voilà qui serait excellent pour nous autres Africains, qui n’avons pas toujours de quoi manger, et qui avons rarement de quoi boire, dit Morrel.

— Oui, dit Monte-Cristo ; malheureusement ma recette, excellente pour un homme comme moi, qui mène une vie tout exceptionnelle, serait fort dangereuse appliquée à une armée, qui ne se réveillerait plus quand on aurait besoin d’elle.

— Et peut-on savoir quelle est cette recette ? demanda Debray.

— Oh ! mon Dieu, oui, dit Monte-Cristo, je n’en fais pas de secret : c’est un mélange d’excellent opium que j’ai été chercher moi même à Canton pour être certain de l’avoir pur, et du meilleur hatchis qui se récolte en Orient, c’est-à-dire entre le Tigre et l’Euphrate ; on réunit ces deux ingrédients en portions égales, et on fait des