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pouvoir, je célèbre tous les ans ce jour-là par quelque action…

— Héroïque, n’est-ce pas ? interrompit Château-Renaud ; bref, je fus l’élu, mais ce n’est pas tout. Après m’avoir sauvé du fer, il me sauva du froid, en me donnant, non pas la moitié de son manteau, comme faisait saint Martin, mais en me le donnant tout entier ; puis de la faim, en partageant avec moi, devinez quoi ?

— Un pâté de chez Félix ? demanda Beauchamp.

— Non pas, son cheval, dont nous mangeâmes chacun un morceau de grand appétit : c’était dur.

— Le cheval ? demanda en riant Morcerf.

— Non, le sacrifice, répondit Château-Renaud. Demandez à Debray s’il sacrifierait son anglais pour un étranger ?

— Pour un étranger, non, dit Debray, mais pour un ami, peut-être.

— Je devinai que vous deviendriez le mien, monsieur le baron, dit Morrel ; d’ailleurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, héroïsme ou non, sacrifice ou non, ce jour-là je devais une offrande à la mauvaise fortune en récompense de la faveur que nous avait faite autrefois la bonne.

— Cette histoire à laquelle M. Morrel fait allusion, continua Château-Renaud, est toute une admirable histoire qu’il vous racontera un jour, quand vous aurez fait avec lui plus ample connaissance ; pour aujourd’hui, garnissons l’estomac et non la mémoire. À quelle heure déjeunez-vous, Albert ?

— À dix heures et demie.

— Précises ? demanda Debray en tirant sa montre.

— Oh ! vous m’accorderez bien les cinq minutes de grâce, dit Morcerf, car, moi aussi, j’attends un sauveur.