Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/238

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Maintenant, dit le comte en haussant les épaules, voulez-vous que je vous dise ce qui cause toutes ces inepties ? C’est que sur vos théâtres, à ce dont j’ai pu juger du moins en lisant les pièces qu’on y joue, on voit toujours des gens avaler le contenu d’une fiole ou mordre le chaton d’une bague et tomber raides morts : cinq minutes après, le rideau baisse ; les spectateurs sont dispersés. On ignore les suites du meurtre ; on ne voit jamais ni le commissaire de police avec son écharpe, ni le caporal avec ses quatre hommes, et cela autorise beaucoup de pauvres cerveaux à croire que les choses se passent ainsi. Mais sortez un peu de France, allez soit à Alep soit au Caire, soit seulement à Naples et à Rome, et vous verrez passer par la rue des gens droits, frais et roses dont le Diable boiteux, s’il vous effleurait de son manteau, pourrait vous dire : « Ce monsieur est empoisonné depuis trois semaines, et il sera tout à fait mort dans un mois. »

— Mais alors, dit madame de Villefort, ils ont donc retrouvé le secret de cette fameuse aqua-tofana que l’on me disait perdu à Pérouse.

— Eh, mon Dieu ! madame, est-ce que quelque chose se perd chez les hommes ! Les arts se déplacent et font le tour du monde ; les choses changent de nom ; voilà tout, et le vulgaire s’y trompe ; mais c’est toujours le même résultat ; le poison porte particulièrement sur tel ou tel organe ; l’un sur l’estomac, l’autre sur le cerveau, l’autre sur les intestins. Eh bien ! le poison détermine une toux, cette toux une fluxion de poitrine ou telle autre maladie cataloguée au livre de la science, ce qui ne l’empêche pas d’être parfaitement mortelle, et qui, ne le fût-elle pas, le deviendrait grâce aux remèdes que lui administrent les naïfs médecins, en général fort mauvais