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qui ne sache en fait de chimie de quoi stupéfier un médecin, et en fait de psychologie de quoi épouvanter un confesseur.

— Vraiment ! dit madame de Villefort, dont les yeux brillaient d’un feu étrange à cette conversation.

— Eh ! mon Dieu ! oui, madame, continua Monte-Cristo, les drames secrets de l’Orient se nouent et se dénouent ainsi, depuis la plante qui fait aimer jusqu’à la plante qui fait mourir ; depuis le breuvage qui ouvre le ciel jusqu’à celui qui vous plonge un homme dans l’enfer. Il y a autant de nuances de tous genres qu’il y a de caprices et de bizarreries dans la nature humaine, physique et morale ; et je dirai plus, l’art de ces chimistes sait accommoder admirablement le remède et le mal à ses besoins d’amour ou à ses désirs de vengeance.

— Mais, monsieur, reprit la jeune femme, ces sociétés orientales au milieu desquelles vous avez passé une partie de votre existence sont donc fantastiques comme les contes qui nous viennent de leur beau pays ? un homme y peut donc être supprimé impunément ? c’est donc en réalité la Bagdad ou la Bassora de M. Galland ? Les sultans et les vizirs qui régissent ces sociétés, et qui constituent ce qu’on appelle en France le gouvernement, sont donc sérieusement des Haroun-al-Raschid et des Giaffar qui non seulement pardonnent à un empoisonneur, mais encore le font premier ministre si le crime a été ingénieux, et qui, dans ce cas, en font graver l’histoire en lettres d’or pour se divertir aux heures de leur ennui ?

— Non, madame, le fantastique n’existe plus même en Orient : il y a là-bas aussi, déguisés sous d’autres noms et cachés sous d’autres costumes, des commissaires de police, des juges d’instruction, des procureurs du roi et des experts. On y pend, on y décapite et l’on y