Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oh ! Dieu me préserve, dit le jeune homme, de plaisanter avec ce qui est ma vie ; mais fatigué d’être un coureur de champs et un escaladeur de murailles, sérieusement effrayé de l’idée que vous me fîtes naître l’autre soir que votre père me ferait juger un jour comme voleur, ce qui compromettrait l’honneur de l’armée française tout entière, non moins effrayé de la possibilité que l’on s’étonne de voir éternellement tourner autour de ce terrain, où il n’y a pas la plus petite citadelle à assiéger ou le plus petit blockhaus à défendre, un capitaine de spahis, je me suis fait maraîcher, et j’ai adopté le costume de ma profession.

— Bon, quelle folie !

— C’est au contraire la chose la plus sage, je crois, que j’aie faite de ma vie, car elle nous donne toute sécurité.

— Voyons, expliquez-vous.

— Eh bien, j’ai été trouver le propriétaire de cet enclos ; le bail avec les anciens locataires était fini, et je le lui ai loué à nouveau. Toute cette luzerne que vous voyez m’appartient, Valentine ; rien ne m’empêche de me faire bâtir une cabane dans les foins et de vivre désormais à vingt pas de vous. Oh ! ma joie et mon bonheur, je ne puis les contenir. Comprenez-vous, Valentine, que l’on parvienne à payer ces choses-là ? C’est impossible, n’est-ce pas ? Eh bien ! toute cette félicité, tout ce bonheur, toute cette joie, pour lesquels j’eusse donné dix ans de ma vie, me coûtent, devinez combien ?… Cinq cents francs par an, payables par trimestre. Ainsi, vous le voyez, désormais plus rien à craindre. Je suis ici chez moi, je puis mettre des échelles contre mon mur et regarder par-dessus, et j’ai, sans crainte qu’une patrouille vienne me déranger, le droit de vous dire que je vous aime, tant que votre fierté ne se blessera pas d’entendre