— Oui, je l’avoue, si humiliant que cela soit à dire. Mais j’ai dîné hier chez M. de Villefort ; et avez-vous remarqué cela, cher ami ? on dîne très mal chez tous ces gens du parquet ; on dirait toujours qu’ils ont des remords.
— Ah ! pardieu ! dépréciez les dîners des autres, avec cela qu’on dîne bien chez vos ministres.
— Oui, mais nous n’invitons pas les gens comme il faut, au moins ; et si nous n’étions pas obligés de faire les honneurs de notre table à quelques croquants qui pensent et surtout qui votent bien, nous nous garderions comme de la peste de dîner chez nous, je vous prie de croire.
— Alors, mon cher, prenez un second verre de xérès et un autre biscuit.
— Volontiers, votre vin d’Espagne est excellent ; vous voyez bien que nous avons eu tout à fait raison de pacifier ce pays-là.
— Oui, mais don Carlos ?
— Eh bien, don Carlos boira du vin de Bordeaux, et dans dix ans nous marierons son fils à la petite reine.
— Ce qui vous vaudra la Toison d’Or, si vous êtes encore au ministère.
— Je crois, Albert, que vous avez adopté pour système ce matin de me nourrir de fumée.
— Eh ! c’est encore ce qui amuse le mieux l’estomac, convenez-en ; mais, tenez, justement j’entends la voix de Beauchamp dans l’antichambre, vous vous disputerez, cela vous fera prendre patience.
— À propos de quoi ?
— À propos de journaux.
— Oh ! cher ami, dit Lucien avec un souverain mépris, est-ce que je lis les journaux !