Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Monsieur le comte, dit-il, avez-vous des parents ?

— Non, monsieur, je suis seul au monde.

— Tant pis !

— Pourquoi ? demanda Monte-Cristo.

— Parce que vous auriez pu voir un spectacle propre à briser votre orgueil. Vous ne craignez que la mort, dites-vous ?

— Je ne dis pas que je la craigne, je dis qu’elle seule peut m’arrêter.

— Et la vieillesse ?

— Ma mission sera remplie avant que je ne sois vieux.

— Et la folie ?

— J’ai manqué de devenir fou, et vous connaissez l’axiome : non bis in idem ; c’est un axiome criminel, et qui, par conséquent, est de votre ressort.

— Monsieur, reprit Villefort, il y a encore autre chose à craindre que la mort, que la vieillesse ou que la folie : il y a, par exemple, l’apoplexie, ce coup de foudre qui vous frappe sans vous détruire, et après lequel, cependant, tout est fini. C’est toujours vous, et cependant vous n’êtes plus vous ; vous qui touchiez, comme Ariel, à l’ange, vous n’êtes plus qu’une masse inerte qui, comme Caliban, touche à la bête ; cela s’appelle tout bonnement, comme je vous le disais, dans la langue humaine, une apoplexie. Venez, s’il vous plaît, continuer cette conversation chez moi, monsieur le comte, un jour que vous aurez envie de rencontrer un adversaire capable de vous comprendre et avide de vous réfuter, et je vous montrerai mon père, M. Noirtier de Villefort, un des plus fougueux jacobins de la Révolution française, c’est-à-dire la plus brillante audace mise au service de la plus vigoureuse organisation ; un homme qui, comme vous, n’avait peut-être pas vu tous les royaumes de la terre,