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— Oh ! j’espère que vous me permettrez de récompenser dignement le dévouement de cet homme.

— Madame, répondit Monte-Cristo, ne me gâtez pas Ali, je vous prie, ni par des louanges, ni par des récompenses : ce sont des habitudes que je ne veux pas qu’il prenne. Ali est mon esclave ; en vous sauvant la vie il me sert, et c’est son devoir de me servir.

— Mais il a risqué sa vie, dit madame de Villefort, à qui ce ton de maître imposait singulièrement.

— J’ai sauvé cette vie, madame, répondit Monte-Cristo ; par conséquent elle m’appartient.

Madame de Villefort se tut : peut-être réfléchissait-elle à cet homme qui, du premier abord, faisait une si profonde impression sur les esprits.

Pendant cet instant de silence, le comte put considérer à son aise l’enfant que sa mère couvrait de baisers. Il était petit, grêle, blanc de peau comme les enfants roux, et cependant une forêt de cheveux noirs, rebelles à toute frisure, couvrait son front bombé, et, tombant sur ses épaules en encadrant son visage, redoublait la vivacité de ses yeux pleins de malice sournoise et de juvénile méchanceté ; sa bouche, à peine redevenue vermeille, était fine de lèvres et large d’ouverture ; les traits de cet enfant de huit ans annonçaient déjà douze ans au moins. Son premier mouvement fut de se débarrasser par une brusque secousse des bras de sa mère, et d’aller ouvrir le coffret d’où le comte avait tiré le flacon d’élixir ; puis aussitôt, sans en demander la permission à personne, et en enfant habitué à satisfaire tous ses caprices, il se mit à déboucher les fioles.

— Ne touchez pas à cela, mon ami, dit vivement le comte, quelques-unes de ces liqueurs sont dangereuses, non seulement à boire, mais même à respirer.