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Cependant, vers cinq heures, c’est-à-dire l’heure où le comte attendait la voiture ; on eût pu voir naître en lui les signes presque imperceptibles d’une légère impatience : il se promenait dans une chambre donnant sur la rue, prêtant l’oreille par intervalles, et de temps en temps se rapprochant de la fenêtre, par laquelle il apercevait Ali poussant des bouffées de tabac avec une régularité indiquant que le Nubien était tout entier à cette importante occupation.

Tout à coup on entendit un roulement lointain, mais qui se rapprochait avec la rapidité de la foudre ; puis une calèche apparut dont le cocher essayait inutilement de retenir les chevaux, qui s’avançaient furieux, hérissés, bondissant avec des élans insensés.

Dans la calèche, une jeune femme et un enfant de sept à huit ans, se tenant embrassés, avaient perdu par l’excès de la terreur jusqu’à la force de pousser un cri ; il eût suffi d’une pierre sous la roue ou d’un arbre accroché pour briser tout à fait la voiture, qui craquait. La voiture tenait le milieu du pavé, et on entendait dans la rue les cris de terreur de ceux qui la voyaient venir.

Soudain Ali pose sa chibouque, tire de sa poche le lasso, le lance, enveloppe d’un triple tour les jambes de devant du cheval de gauche, se laisse entraîner trois ou quatre pas par la violence de l’impulsion ; mais, au bout de trois ou quatre pas, le cheval enchaîné s’abat, tombe sur la flèche, qu’il brise, et paralyse les efforts que fait le cheval resté debout pour continuer sa course. Le cocher saisit cet instant de répit pour sauter en bas de son siège ; mais déjà Ali a saisi les naseaux du second cheval avec ses doigts de fer, et l’animal, hennissant de douleur, s’est allongé convulsivement près de son compagnon.