Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ton trésor pour sa veuve : tu vois bien que ma vengeance est plus complète que je ne l’espérais. »

Je ne sais s’il entendit ces paroles ; je ne le crois pas, car il tomba sans pousser un cri ; je sentis les flots de son sang rejaillir brûlants sur mes mains et sur mon visage ; mais j’étais ivre, j’étais en délire ; ce sang me rafraîchissait au lieu de me brûler. En une seconde, j’eus déterré le coffret à l’aide de la bêche ; puis, pour qu’on ne vît pas que je l’avais enlevé, je comblai à mon tour le trou, je jetai la bêche par dessus le mur, je m’élançai par la porte, que je fermai à double tour en dehors et dont j’emportai la clef.

— Bon ! dit Monte-Cristo, c’était, à ce que je vois, un petit assassinat doublé de vol.

— Non, Excellence, répondit Bertuccio, c’était une vendetta suivie de restitution.

— Et la somme était ronde, au moins ?

— Ce n’était pas de l’argent.

— Ah ! oui, je me rappelle, dit Monte-Cristo ; n’avez-vous pas parlé d’un enfant ?

— Justement, Excellence. Je courus jusqu’à la rivière, je m’assis sur le talus, et, pressé de savoir ce que contenait le coffre, je fis sauter la serrure avec mon couteau.

Dans un lange de fine batiste était enveloppé un enfant qui venait de naître ; son visage empourpré, ses mains violettes annonçaient qu’il avait dû succomber à une asphyxie causée par des ligaments naturels roulés autour de son cou ; cependant, comme il n’était pas froid encore, j’hésitai à le jeter dans cette eau qui coulait à mes pieds. En effet, au bout d’un instant je crus sentir un léger battement vers la région du cœur ; je dégageai son cou du cordon qui l’enveloppait, et, comme j’avais été infirmier à l’hôpital de Bastia, je fis ce qu’aurait pu faire un