— Vous m’avez nommé déjà deux ou trois fois un certain M. Morrel, dit-il. Qu’était-ce que cet homme ?
— C’était l’armateur du Pharaon, le patron de Dantès.
— Et quel rôle a joué cet homme dans toute cette triste affaire ? demanda l’abbé.
— Le rôle d’un homme honnête, courageux et affectionné, Monsieur. Vingt fois il intercéda pour Edmond ; quand l’empereur rentra, il écrivit, pria, menaça, si bien qu’à la seconde restauration il fut fort persécuté comme bonapartiste. Dix fois, comme je vous l’ai dit, il était venu chez le père Dantès pour le retirer chez lui, et la veille ou la surveille de sa mort, je vous l’ai dit encore, il avait laissé sur la cheminée une bourse avec laquelle on paya les dettes du bonhomme et l’on subvint à son enterrement ; de sorte que le pauvre vieillard put du moins mourir comme il avait vécu, sans faire de tort à personne. C’est encore moi qui ai la bourse, une grande bourse en filet rouge.
— Et, demanda l’abbé, ce M. Morrel vit-il encore ?
— Oui, dit Caderousse.
— En ce cas, reprit l’abbé, ce doit être un homme béni de Dieu, il doit être riche… heureux ?…
Caderousse sourit amèrement.
— Oui, heureux comme moi, dit-il.
— M. Morrel serait malheureux ! s’écria l’abbé.
— Il touche à la misère, Monsieur, et, bien plus, il touche au déshonneur.
— Comment cela ?
— Oui, reprit Caderousse, c’est comme cela ; après vingt-cinq ans de travail, après avoir acquis la plus honorable place dans le commerce de Marseille, M. Morrel est ruiné de fond en comble. Il a perdu cinq vaisseaux en deux ans, a essuyé trois banqueroutes effroyables, et