— Oui, répondit l’abbé ; elle est attendrissante.
— Mercédès revint ; elle le trouva si changé, que, comme la première fois, elle voulut le faire transporter chez elle. C’était aussi l’avis de M. Morrel, qui voulait opérer le transport de force ; mais le vieillard cria tant, qu’ils eurent peur. Mercédès resta au chevet de son lit. M. Morrel s’éloigna en faisant signe à la Catalane qu’il laissait une bourse sur la cheminée. Mais, armé de l’ordonnance du médecin, le vieillard ne voulut rien prendre. Enfin, après neuf jours de désespoir et d’abstinence, le vieillard expira en maudissant ceux qui avaient causé son malheur et en disant à Mercédès :
« Si vous revoyez mon Edmond, dites-lui que je meurs en le bénissant. »
L’abbé se leva, fit deux tours dans la chambre en portant une main frémissante à sa gorge aride.
— Et vous croyez qu’il est mort…
— De faim… Monsieur, de faim, dit Caderousse ; j’en réponds aussi vrai que nous sommes ici deux chrétiens.
L’abbé, d’une main convulsive, saisit le verre d’eau encore à moitié plein, le vida d’un trait et se rassit les yeux rougis et les joues pâles.
— Avouez que voilà un grand malheur ! dit-il d’une voix rauque.
— D’autant plus grand, Monsieur, que Dieu n’y est pour rien, et que les hommes seuls en sont cause.
— Passons donc à ces hommes, dit l’abbé ; mais songez-y, continua-t-il d’un air presque menaçant, vous vous êtes engagé à me tout dire : voyons, quels sont ces hommes qui ont fait mourir le fils de désespoir, et le père de faim ?
— Deux hommes jaloux de lui, Monsieur, l’un par amour, l’autre par ambition ; Fernand et Danglars.