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était chez lui, il ne répondait pas. Un jour que, contre son habitude, il avait reçu Mercédès, et que la pauvre enfant, au désespoir elle-même, tentait de le réconforter :

— Crois-moi, ma fille, lui dit-il, il est mort ; et, au lieu que nous l’attendions, c’est lui qui nous attend : je suis bien heureux, c’est moi qui suis le plus vieux et qui, par conséquent, le reverrai le premier.

Si bon que l’on soit, voyez-vous, on cesse bientôt de voir les gens qui vous attristent ; le vieux Dantès finit par demeurer tout à fait seul : je ne voyais plus monter de temps en temps chez lui que des gens inconnus, qui descendaient avec quelque paquet mal dissimulé ; j’ai compris depuis ce que c’était que ces paquets : il vendait peu à peu ce qu’il avait pour vivre. Enfin, le bonhomme arriva auprès de ses pauvres hardes ; il devait trois termes : on menaça de le renvoyer ; il demanda huit jours encore, on les lui accorda. Je sus ce détail parce que le propriétaire entra chez moi en sortant de chez lui.

Pendant les trois premiers jours, je l’entendis marcher comme d’habitude ; mais le quatrième, je n’entendis plus rien. Je me hasardai à monter : la porte était fermée ; mais à travers la serrure je l’aperçus si pâle et si défait, que, le jugeant bien malade, je fis prévenir M. Morrel et courus chez Mercédès. Tous deux s’empressèrent de venir. M. Morrel amenait un médecin ; le médecin reconnut une gastro-entérite et ordonna la diète. J’étais là, Monsieur, et je n’oublierai jamais le sourire du vieillard à cette ordonnance.

Dès lors il ouvrit sa porte : il avait une excuse pour ne plus manger ; le médecin avait ordonné la diète.

L’abbé poussa une espèce de gémissement.

— Cette histoire vous intéresse, n’est-ce pas, Monsieur ? dit Caderousse.