voisines des étangs d’Aiguemortes et des marais de la Camargue. Elle se tenait donc presque toujours assise et grelottante au fond de sa chambre située au premier, soit étendue dans un fauteuil, soit appuyée contre son lit, tandis que son mari montait à la porte sa faction habituelle : faction qu’il prolongeait d’autant plus volontiers que chaque fois qu’il se retrouvait avec son aigre moitié, celle-ci le poursuivait de ses plaintes éternelles contre le sort, plaintes auxquelles son mari ne répondait d’habitude que par ces paroles philosophiques :
« Tais-toi, la Carconte ! c’est Dieu qui le veut comme cela. »
Ce sobriquet venait de ce que Madeleine Radelle était née dans le village de la Carconte, situé entre Salon et Lambesc. Or, suivant une habitude du pays, qui veut que l’on désigne presque toujours les gens par un surnom au lieu de les désigner par un nom, son mari avait substitué cette appellation à celle de Madeleine, trop douce et trop euphonique peut-être pour son rude langage.
Cependant, malgré cette prétendue résignation aux décrets de la Providence, que l’on n’aille pas croire que notre aubergiste ne sentît pas profondément l’état de misère où l’avait réduit ce misérable canal de Beaucaire, et qu’il fût invulnérable aux plaintes incessantes dont sa femme le poursuivait. C’était, comme tous les Méridionaux, un homme sobre et sans de grands besoins, mais vaniteux pour les choses extérieures ; aussi, au temps de sa prospérité, il ne laissait passer ni une ferrade, ni une procession de la tarasque sans s’y montrer avec la Carconte, l’un dans ce costume pittoresque des hommes du Midi et qui tient à la fois du catalan et de l’andalou ; l’autre avec ce charmant habit des femmes d’Arles qui semble emprunté à la Grèce et à l’Arabie ; mais peu à peu,