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Simbad tressaillit et le regarda fixement.

— À quoi voyez-vous cela ? demanda-t-il.

— À tout, reprit Franz : à votre voix, à votre regard, à votre pâleur, et à la vie même que vous menez.

— Moi ! je mène la vie la plus heureuse que je connaisse, une véritable vie de pacha ; je suis le roi de la création : je me plais dans un endroit, j’y reste ; je m’ennuie, je pars ; je suis libre comme l’oiseau, j’ai des ailes comme lui ; les gens qui m’entourent m’obéissent sur un signe. De temps en temps je m’amuse à railler la justice humaine en lui enlevant un bandit qu’elle cherche, un criminel qu’elle poursuit. Puis j’ai ma justice à moi, basse et haute, sans sursis et sans appel, qui condamne ou qui absout, et à laquelle personne n’a rien à voir. Ah ! si vous aviez goûté de ma vie, vous n’en voudriez plus d’autre, et vous ne rentreriez jamais dans le monde, à moins que vous n’eussiez quelque grand projet à y accomplir.

— Une vengeance ! par exemple, dit Franz.

L’inconnu fixa sur le jeune homme un de ces regards qui plongent au plus profond du cœur et de la pensée.

— Et pourquoi une vengeance ? demanda-t-il.

— Parce que, reprit Franz, vous m’avez tout l’air d’un homme qui, persécuté par la société, a un compte terrible à régler avec elle.

— Eh bien ! fit Simbad en riant de son rire étrange, qui montrait ses dents blanches et aiguës, vous n’y êtes pas ; tel que vous me voyez, je suis une espèce de philanthrope et peut-être un jour irai-je à Paris pour faire concurrence à M. Appert et à l’homme au Petit Manteau Bleu.

— Et ce sera la première fois que vous ferez ce voyage ?