bey de Tunis qu’il n’était convenable de le faire à un gaillard de sa couleur ; de sorte qu’il avait été condamné par le bey à avoir la langue, la main et la tête tranchées : la langue le premier jour, la main le second, et la tête le troisième. J’avais toujours eu envie d’avoir un muet à mon service ; j’attendis qu’il eût la langue coupée, et j’allai proposer au bey de me le donner pour un magnifique fusil à deux coups qui, la veille, m’avait paru éveiller les désirs de Sa Hautesse. Il balança un instant, tant il tenait à en finir avec ce pauvre diable. Mais j’ajoutai à ce fusil un couteau de chasse anglais avec lequel j’avais haché le yatagan de Sa Hautesse ; de sorte que le bey se décida à lui faire grâce de la main et de la tête, mais à condition qu’il ne remettrait jamais le pied à Tunis. La recommandation était inutile. Du plus loin que le mécréant aperçoit les côtes d’Afrique il se sauve à fond de cale, et l’on ne peut le faire sortir de là que lorsqu’on est hors de vue de la troisième partie du monde.
Franz resta un moment muet et pensif, cherchant ce qu’il devait penser de la bonhomie cruelle avec laquelle son hôte venait de lui faire ce récit.
— Et, comme l’honorable marin dont vous avez pris le nom, dit-il en changeant la conversation, vous passez votre vie à voyager ?
— Oui ; c’est un vœu que j’ai fait dans un temps où je ne pensais guère pouvoir l’accomplir, dit l’inconnu en souriant. J’en ai fait quelques-uns comme cela, et qui, je l’espère, s’accompliront tous à leur tour.
Quoique Simbad eût prononcé ces mots avec le plus grand sang-froid, ses yeux avaient lancé un regard de férocité étrange.
— Vous avez beaucoup souffert, Monsieur ? lui dit Franz.