— Mon père, dit le jeune homme en fléchissant le genou, bénissez-moi !
Morrel saisit la tête de son fils entre ses deux mains, l’approcha de lui, et y imprimant plusieurs fois ses lèvres :
— Oh ! oui, oui, dit-il, je te bénis en mon nom et au nom de trois générations d’hommes irréprochables ; écoute donc ce qu’ils disent par ma voix : l’édifice que le malheur a détruit, la Providence peut le rebâtir. En me voyant mort d’une pareille mort, les plus inexorables auront pitié de toi ; à toi peut-être on donnera le temps qu’on m’aurait refusé ; alors tâche que le mot infâme ne soit pas prononcé ; mets-toi à l’œuvre, travaille, jeune homme, lutte ardemment et courageusement : vis, toi, ta mère et ta sœur, du strict nécessaire, afin que, jour par jour, le bien de ceux à qui je dois s’augmente et fructifie entre tes mains. Songe que ce sera un beau jour, un grand jour, un jour solennel que celui de la réhabilitation, le jour où, dans ce même bureau, tu diras : Mon père est mort parce qu’il ne pouvait pas faire ce que je fais aujourd’hui ; mais il est mort tranquille et calme, parce qu’il savait en mourant que je le ferais.
— Oh ! mon père, mon père, s’écria le jeune homme. Si cependant vous pouviez vivre !
— Si je vis, tout change ; si je vis, l’intérêt se change en doute, la pitié en acharnement ; si je vis, je ne suis plus qu’un homme qui a manqué à sa parole, qui a failli à ses engagements, je ne suis plus qu’un banqueroutier enfin. Si je meurs, au contraire, songes-y, Maximilien, mon cadavre n’est plus que celui d’un honnête homme malheureux. Vivant, mes meilleurs amis évitent ma maison, mort, Marseille tout entier me suit en pleurant jusqu’à ma dernière demeure ; vivant, tu as honte de mon nom ; mort, tu lèves la tête et tu dis :