Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

premiers pas dans la vie ont été faciles, et qui compte sur l’avenir comme sur la déduction naturelle du passé : tout cela était bien changé.

Sa figure ovale s’était allongée, sa bouche rieuse avait pris ces lignes fermes et arrêtées qui indiquent la résolution ; ses sourcils s’étaient arqués sous une ride unique, pensive ; ses yeux s’étaient empreints d’une profonde tristesse, du fond de laquelle jaillissaient de temps en temps les sombres éclairs de la misanthropie et de la haine ; son teint, éloigné si longtemps de la lumière du jour et des rayons du soleil, avait pris cette couleur mate qui fait, quand leur visage est encadré dans des cheveux noirs, la beauté aristocratique des hommes du Nord ; cette science profonde qu’il avait acquise avait en outre reflété sur tout son visage une auréole d’intelligente sécurité ; en outre, il avait, quoique naturellement d’une taille assez haute, acquis cette vigueur trapue d’un corps toujours concentrant ses forces en lui.

À l’élégance des formes nerveuses et grêles avait succédé la solidité des formes arrondies et musculeuses. Quant à sa voix, les prières, les sanglots et les imprécations l’avaient changée, tantôt en un timbre d’une douceur étrange, tantôt en une accentuation rude et presque rauque.

En outre, sans cesse dans un demi-jour et dans l’obscurité, ses yeux avaient acquis cette singulière faculté de distinguer les objets pendant la nuit, comme font ceux de l’hyène et du loup.

Edmond sourit en se voyant : il était impossible que son meilleur ami, si toutefois il lui restait un ami, le reconnût ; il ne se reconnaissait même pas lui-même.

Le patron de la Jeune-Amélie, qui tenait beaucoup à garder parmi ses gens un homme de la valeur d’Edmond,