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j’aurais rejoint ce navire si je ne craignais pas d’être questionné, reconnu pour un fugitif et reconduit à Marseille ! Que faire ? que dire ? quelle fable inventer dont ils puissent être la dupe ? Ces gens sont tous des contrebandiers, des demi-pirates. Sous prétexte de faire le cabotage, ils écument les côtes ; ils aimeront mieux me vendre que de faire une bonne action stérile.

Attendons.

Mais attendre est chose impossible : je meurs de faim ; dans quelques heures le peu de forces qui me reste sera évanoui : d’ailleurs l’heure de la visite approche ; l’éveil n’est pas encore donné, peut-être ne se doutera-t-on de rien : je puis me faire passer pour un des matelots de ce petit bâtiment qui s’est brisé cette nuit. Cette fable ne manquera point de vraisemblance ; nul ne viendra pour me contredire ils sont bien engloutis tous. Allons.

Et, tout en disant ces mots, Dantès tourna les yeux vers l’endroit où le petit navire s’était brisé, et tressaillit. À l’arête d’un rocher était resté accroché le bonnet phrygien d’un des matelots naufragés, et tout près de là flottaient quelques débris de la carène, solives inertes que la mer poussait et repoussait contre la base de l’île, qu’elles battaient comme d’impuissants béliers.

En un instant la résolution de Dantès fut prise ; il se remit à la mer, nagea vers le bonnet, s’en couvrit la tête, saisit une des solives et se dirigea pour couper la ligne que devait suivre le bâtiment.

— Maintenant, je suis sauvé, murmura-t-il.

Et cette conviction lui rendit ses forces.

Bientôt il aperçut la tartane, qui, ayant le vent presque debout, courait des bordées entre le château d’If et la tour de Planier. Un instant Dantès craignit qu’au lieu de serrer la côte le petit bâtiment ne gagnât le large,