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prudent et qui aimait uniquement son neveu, jeune capitaine de la plus belle espérance, prit du papier, une plume, et fit son testament.

Il fit dire ensuite à ce neveu de l’attendre aux environs de la vigne, mais il paraît que le serviteur ne le trouva pas.

Spada connaissait la coutume des invitations. Depuis que le christianisme, éminemment civilisateur, avait apporté ses progrès dans Rome, ce n’était plus un centurion qui arrivait de la part du tyran vous dire : « César veut que tu meures ; » mais c’était un légat a latere, qui venait, la bouche souriante, vous dire de la part du pape : « Sa Sainteté veut que vous dîniez avec elle. »

Spada partit vers les deux heures pour la vigne de Saint-Pierre-ès-Liens ; le pape l’y attendait. La première figure qui frappa les yeux de Spada fut celle de son neveu tout paré, tout gracieux, auquel César Borgia prodiguait les caresses. Spada pâlit ; et César, qui lui décocha un regard plein d’ironie, laissa voir qu’il avait tout prévu, que le piège était bien dressé.

On dîna, Spada n’avait pu que demander à son neveu : « Avez-vous reçu mon message ? » Le neveu répondit que non et comprit parfaitement la valeur de cette question, il était trop tard, car il venait de boire un verre d’excellent vin mis à part pour lui par le sommelier du pape. Spada vit au même moment approcher une autre bouteille dont on lui offrit libéralement. Une heure après un médecin les déclarait tous deux empoisonnés par des morilles vénéneuses. Spada mourait sur le seuil de la vigne, le neveu expirait à sa porte en faisant un signe que sa femme ne comprit pas.

Aussitôt César et le pape s’empressèrent d’envahir l’héritage, sous prétexte de rechercher les papiers des