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l’attirer à lui, car il n’eût jamais pu en sortir seul par l’étroite ouverture qui donnait dans la chambre de Dantès.

— Me voici impitoyablement acharné à votre poursuite, dit-il avec un sourire rayonnant de bienveillance. Vous aviez cru pouvoir échapper à ma magnificence, mais il n’en sera rien. Écoutez donc.

Edmond vit qu’il ne pouvait reculer ; il fit asseoir le vieillard sur son lit, et se plaça près de lui sur son escabeau.

— Vous savez, dit l’abbé, que j’étais le secrétaire, le familier, l’ami du cardinal Spada, le dernier des princes de ce nom. Je dois à ce digne seigneur tout ce que j’ai goûté de bonheur en cette vie. Il n’était pas riche, bien que les richesses de sa famille fussent proverbiales et que j’aie entendu dire souvent : Riche comme un Spada. Mais lui, comme le bruit public, vivait sur cette réputation d’opulence. Son palais fut mon paradis. J’instruisis ses neveux, qui sont morts, et lorsqu’il fut seul au monde, je lui rendis, par un dévouement absolu à ses volontés, tout ce qu’il avait fait pour moi depuis dix ans.

La maison du cardinal n’eut bientôt plus de secrets pour moi ; j’avais vu souvent Monseigneur travailler à compulser des livres antiques et fouiller avidement dans la poussière des manuscrits de famille. Un jour que je lui reprochais ses inutiles veilles et l’espèce d’abattement qui les suivait, il me regarda en souriant amèrement et m’ouvrit un livre qui est l’histoire de la ville de Rome. Là, au vingtième chapitre de la Vie du pape Alexandre VI, il y avait les lignes suivantes, que je n’ai pu jamais oublier :

« Les grandes guerres de la Romagne étaient terminées. César Borgia, qui avait achevé sa conquête, avait besoin d’argent pour acheter l’Italie tout entière. Le pape