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Il était facile de s’en assurer ; mais comment risquer une question ? Certes il était tout simple d’attendre l’arrivée du geôlier, de lui faire écouter ce bruit, et de voir la mine qu’il ferait en l’écoutant ; mais se donner une pareille satisfaction, n’était-ce pas trahir des intérêts bien précieux pour une satisfaction bien courte ? Malheureusement la tête d’Edmond, cloche vide, était assourdie par le bourdonnement d’une idée ; il était si faible que son esprit flottait comme une vapeur, et ne pouvait se condenser autour d’une pensée. Edmond ne vit qu’un moyen de rendre la netteté à sa réflexion et la lucidité à son jugement ; il tourna les yeux vers le bouillon fumant encore que le geôlier venait de déposer sur la table, se leva, alla en chancelant jusqu’à lui, prit la tasse, la porta à ses lèvres, et avala le breuvage qu’elle contenait avec une indicible sensation de bien-être.

Alors il eut le courage d’en rester là : il avait entendu dire que de malheureux naufragés recueillis, exténués par la faim, étaient morts pour avoir gloutonnement dévoré une nourriture trop substantielle. Edmond posa sur la table le pain qu’il tenait déjà presque à portée de sa bouche, et alla se recoucher. Edmond ne voulait plus mourir.

Bientôt il sentit que le jour rentrait dans son cerveau ; toutes ses idées, vagues et presque insaisissables, reprenaient leur place dans cet échiquier merveilleux, où une case de plus peut-être suffit pour établir la supériorité de l’homme sur les animaux. Il put penser et fortifier sa pensée avec le raisonnement.

Alors il se dit :

— Il faut tenter l’épreuve, mais sans compromettre personne. Si le travailleur est un ouvrier ordinaire, je n’ai qu’à frapper contre mon mur, aussitôt il cessera sa