Sur ces entrefaites, et parmi tant de fluctuations douloureuses, l’empire appela un dernier ban de soldats, et tout ce qu’il y avait d’hommes en état de porter les armes s’élança hors de France à la voix retentissante de l’empereur. Fernand partit comme les autres, quittant sa cabane et Mercédès, et rongé de cette sombre et terrible pensée que derrière lui peut-être son rival allait revenir et épouser celle qu’il aimait.
Si Fernand avait jamais dû se tuer, c’était en quittant Mercédès qu’il l’eût fait.
Ses attentions pour Mercédès, la pitié qu’il paraissait donner à son malheur, le soin qu’il prenait d’aller au-devant de ses moindres désirs, avaient produit l’effet que produisent toujours sur les cœurs généreux les apparences du dévouement : Mercédès avait toujours aimé Fernand d’amitié ; son amitié s’augmenta pour lui d’un nouveau sentiment, la reconnaissance.
— Mon frère, dit-elle en attachant le sac de conscrit sur les épaules du Catalan, mon frère, mon seul ami, ne vous faites pas tuer, ne me laissez pas seule dans ce monde, où je pleure et où je serai seule dès que vous n’y serez plus.
Ces paroles, dites au moment du départ, rendirent quelque espoir à Fernand. Si Dantès ne revenait pas, Mercédès pourrait donc un jour être à lui.
Mercédès resta seule sur cette terre nue qui ne lui avait jamais paru si aride, et avec la mer immense pour horizon. Toute baignée de pleurs, comme cette folle dont on nous raconte la douloureuse histoire, on la voyait errer sans cesse autour du petit village des Catalans : tantôt s’arrêtant sous le soleil ardent du Midi, debout, immobile, muette comme une statue, et regardant Marseille ; tantôt assise au bord du rivage, écoutant ce gémissement