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— Non, dit le marquis, je ne le quitterai pas, c’est vrai, et ce n’est pas parce que j’aide la destinée, c’est parce que Cabanis m’a composé ce poison qui est unique, qui est une substance solidifiée par l’effet du hasard, et qu’il ne retrouvera jamais ce hasard peut-être ; voilà pourquoi je ne jetterai pas ce poison. Triomphez si vous voulez, monsieur de Cagliostro.

— Le destin, dit celui-ci, trouve toujours des agens fidèles pour aider à l’exécution de ses arrêts.

— Ainsi, je mourrai empoisonné, dit le marquis. Eh bien ! soit. Ne meurt pas empoisonné qui veut. C’est une mort admirable que vous me prédisez là ; un peu de poison sur le bout de ma langue, et je suis anéanti. Ce n’est plus la mort, cela ; c’est moins la vie, comme nous disons en algèbre.

— Je ne tiens pas à ce que vous souffriez, monsieur, répondit froidement Cagliostro.

Et il fit un signe qui indiquait qu’il désirait en rester là, avec monsieur de Condorcet du moins,

— Monsieur, dit alors le marquis de Favras en s’allongeant sur la table, comme pour aller au devant de Cagliostro, voilà un naufrage, un coup de feu et un empoisonnement qui me font venir l’eau à la bouche. Est-ce que vous ne me ferez pas la grâce de me prédire, à moi aussi, quelque petit trépas du même genre ?

— Oh ! monsieur le marquis, dit Cagliostro commençant à s’animer sous l’ironie, vous auriez vraiment tort de jalouser ces messieurs, car, sur ma foi de gentilhomme ! vous aurez mieux.

— Mieux ! s’écria monsieur de Favras en riant ; prenez garde, c’est vous engager beaucoup : mieux que la mer, le feu et le poison ; c’est difficile.

— Il reste la corde, monsieur le marquis, dit gracieusement Cagliostro.

— La corde… oh ! oh ! que me dites-vous là ?

— Je vous dis que vous serez pendu, répondit Cagliostro avec une espèce de rage prophétique dont il n’était plus te maître.

— Pendu ! répéta l’assemblée ; diable !