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homme extraordinaire qui remuait tous les cœurs à son caprice.

— Oui, oui, dit madame Dubarry ; pourquoi no pas courir, pourquoi ne pas le rattraper ; la vie d’un homme comme Lapeyrouso vaut bien le voyage d’un courrier, mon cher maréchal.

Le maréchal comprit et se leva à demi pour sonner.

Cagliostro étendit le bras.

Le maréchal retomba dans son fauteuil.

— Hélas ! continua Cagliostro, tout avis serait inutile, l'homme qui prévoit la destinée ne change pas la destinée. Monsieur de Lapeyrouse rirait, s’il avait entendu mes paroles, comme riaient les fils de Priam quand prophétisait Cassandre ; mais tenez, vous riez vous-même, monsieur le comte de Haga, et le rire va gagner vos compagnons. Oh ! ne vous contraignez pas, monsieur de Favras ; je n’ai jamais trouvé un auditeur crédule.

— Oh ! nous croyons, s’écrièrent madame Dubarry et le vieux duc de Richelieu.

— Je crois, murmura Taverney.

— Moi aussi, dit poliment le comte de Haga.

— Oui, reprit Cagliostro, vous croyez, vous croyez, parce qu’il s’agit de Lapeyrouse, mais s’il s’agissait de vous, vous ne croiriez pas ?

— Oh !

— J’en suis sûr.

— J’avoue que ce qui me ferait croire, dit le comte de Haga, ce serait que monsieur de Cagliostro eût dit à monsieur de Lapeyrouse : Gardez- vous des îles inconnues. Il s’en fût gardé alors. C'était toujours une chance.

— Je vous assure que non, monsieur le comte, et m’eût-il cru, voyez ce que cette révélation avait d’horrible, alors qu’en présence du danger, à l’aspect de ces îles inconnues qui doivent lui être fatales, le malheureux, crédule à ma prophétie, eût senti la mort mystérieuse qui le menace s’approcher de lui sans la pouvoir fuir. Ce n’est point une mort, ce sont mille morts qu’il eût alors souffertes ; car c’est souffrir mille morts que de marcher dans l’ombre avec le désespoir à ses côtés. L’espoir que je lui enlevais,